DU « MIDI ROUGE » AU « MIDI BLEU MARINE »

Dans l’évolution du paysage électoral de la 5ème circonscription de l’Hérault depuis le début de la Vème République, on peut distinguer trois phases :

  • Le « Midi Rouge » : SFIO puis PS et PCF hégémoniques entre 1958 et 1993
  • Le « PS zombie » : PS en survie entre 1993 et 2017
  • Le « saut dans l’inconnu » : montée du RN et explosion de l’abstention à partir de 2017

Le « Midi Rouge » : SFIO puis PS et PCF hégémoniques entre 1958 et 1993

Dans les années 1950, il y avait encore une dynamique industrielle, minière et ouvrière dans les Hauts-Cantons de l’Hérault.

Bédarieux, Clermont-L’Hérault, Lodève et Saint-Pons-de-Thomières sont spécialisés dans l’industrie textile et le travail des peaux (Lodève 8 000 ouvriers pour 8000 habitants, Clermont-L’Hérault 6000 ouvriers pour 4 500 habitants). Sans oublier le bassin minier de Graissessac en activité jusque dans les années 1970.

De même, la viticulture connaissait un développement important de la coopération. L’Hérault comptera jusqu’à 121 caves coopératives dans les années 1950.

Tout cela contribuait à créer un sentiment d’appartenance à un collectif, une solidarité. Cela se traduisait par un vote de gauche, SFIO (puis PS) et PCF, très largement majoritaire (plus de 60% au 1er tour)

Mais les années 1950 ont marqué le déclin industriel des hauts cantons avec la concurrence d’une économie qui se mondialise et l’absence de soutien des pouvoirs publics.

Des communes comme Saint-Pons-de-Thomières se sont littéralement vidées de leur population (7 300 habitants en 1850, moins de 1 800 aujourd’hui). Lodève comptait plus de 12 000 habitants en 1850, contre moins de 7 500 aujourd’hui. Bédarieux comptait plus de 9 000 habitants en 1930, contre moins de 6 000 aujourd’hui ….

Avec le développement du marché commun, le vignoble subit la concurrence des vins italiens, grecs, espagnols, ce qui aboutit à une nouvelle crise économique et aux manifestations de Montredon en 1976.

Cela rentre en résonance avec la fermeture de la sidérurgie et des mines en Lorraine et dans le Nord, l’austérité décidée en 1983 par le gouvernement de Pierre Mauroy, la libéralisation et la concurrence à outrance entérinées en 1986 avec l’Acte unique européen soutenu par Jacques Delors.

Progressivement, s’installe un sentiment d’abandon des classes populaires par la gauche « de gouvernement ».

Dans notre territoire viticole, ce sentiment d’incompréhension est sans doute renforcé par la loi Evin de 1991 sur la lutte contre l’alcoolisme, vue par beaucoup comme une « agression » contre la viticulture.

En 1993, 5 ans après le début du 2ème mandat de François Mitterrand, la 5ème circonscription bascule pour la première fois à droite.

Le « PS zombie » : PS en survie entre 1993 et 2017 

Emmanuel Todd qualifiait de « catholiques zombies », des gens ayant hérité d’une culture catholique, mais qui n’ont plus la foi. On peut appliquer cette analyse au PS, qui a perdu progressivement la foi dans la transformation sociale.

Ainsi, le gouvernement Jospin a plus privatisé que le gouvernement Juppé, alors qu’avant les élections législatives de mai 1997, il affirmait que Thomson, Air France ou France Télécom devaient rester publics…

Il y a eu aussi les épisodes des fermetures de sites industriels de Renault-Vilvoorde, de licenciements massifs chez Michelin… Lionel Jospin déclarant alors : « l’Etat ne peut pas tout ».

En 2002, Lionel Jospin assurait que son programme « n’était pas socialiste ».

Sans doute le divorce a-t-il été totalement consommé en 2005, lorsque que François Hollande et Nicolas Sarkozy ont fait campagne main dans la main pour le « Oui » au référendum sur le Traité constitutionnel européen qui glorifiait la « concurrence libre et non faussée ».

François Hollande a ensuite enfoncé les derniers clous du cercueil avec son quinquennat catastrophique : loi travail, mise en orbite d’Emmanuel Macron…

Dans le même temps, le territoire a été transformé en profondeur sous l’effet d’une très forte urbanisation qui a modifié les paysages et l’activité économique : recul de l’agriculture (et notamment de la viticulture) au profit de l’étalement urbain, avec la construction de zones commerciales et de lotissements pavillonnaires.

Des 121 caves coopératives en 1950, il n’en reste plus que 9. Des 162 000 ha de vignoble en 1974, il n’en reste plus que 86 000 ha en 2010, soit près de la moitié. L’arrachage touche 95% des communes du département. Le secteur le plus touché est bien sûr le biterrois (Béziers, Servian, Capestang…).

Ces campagnes d’arrachage produisent le même effet que l’arrêt des hauts-fourneaux en Lorraine. C’est tout un pan de l’histoire et de la fierté locales qui est ainsi mis au rebut.

La fermeture des cafés et des commerces participe à la dégradation de l’image des centres bourgs. Ces fermetures ont eu un impact direct sur l’accès aux services et le sentiment d’exclusion des habitants en zone rurale. Les territoires ruraux ont également connu de nombreuses fermetures de services publics.

La fragilisation des territoires ruraux s’est accentuée sous l’effet de la métropolisation, qui s’est accompagnée du développement des grandes voies de communication sur le littoral.

Cela accentue l’éloignement des territoires ruraux des territoires économiques hyperconnectés. Des 100 gares héraultaises en 1968, il n’en reste plus que 19 aujourd’hui…

Par ailleurs, l’augmentation de la population et l’arrivée massive de nouveaux habitants ont contribué à déstabiliser les modes de vie locaux. C’est l’avènement des « villages dortoirs ».

Pour autant, le PS a pu se maintenir à flot dans la 5ème circonscription, grâce notamment à un réseau d’élus locaux qui quadrille le terrain. Un peu comme un canard sans tête, il a continué à avancer… jusqu’à l’écroulement…

Un parti qui ne propose plus un programme crédible au niveau national ne peut pas se maintenir indéfiniment sur le terrain…

Le « saut dans l’inconnu » : montée du RN et explosion de l’abstention à partir de 2017

L’élection d’Emmanuel Macron a recomposé le paysage politique. Les libéraux, de droite et de gauche, se sont rassemblés autour de lui. La gauche de transformation sociale s’est regroupée au sein de la NUPES. Le RN regroupe une partie des « fâchés pas fachos » de la France périphérique, ainsi qu’une petite bourgeoisie traditionnelle soutien du FN « historique ».

Il n’y pas plus d’espace politique pour le PS « canal historique » et les Les Républicains dans ce nouvel échiquier.

Reste à savoir comment vont évoluer les rapports de force entre les trois nouveaux blocs, qui sont aujourd’hui de poids à peu près égal.

Dans la 5ème circonscription de l’Hérault, le RN est passé au 1er tour des législatives de… 0 voix en 1981 à 13 806 en 2022. Et depuis 1988, il a plus que doublé son nombre voix.

Un premier palier a été franchi en 1997, puis un 2ème en 2012, après un creux en 2007 (année où Sarkozy a siphonné le FN avec « la France qui se lève tôt », le » karcher », « travailler plus pour gagner plus »). Et à partir de 2017, le RN est au 2ème tour…et remporte la victoire en 2022.

Le « Midi Rouge » est devenu le « Midi Bleu Marine ».

Mais ce n’est pas une fatalité… Nous pouvons reconquérir ces territoires.

Cela passera par la conviction qu’il n’y a pas de fatalité au déclassement, à la dévitalisation des territoires ruraux. Revitalisation des centres-bourgs parle commerce de proximité, développement des services publics, reconquête agricole et filières de transformation locale pour des emplois de qualité non délocalisables…

Montrer que la politique peut vraiment répondre aux préoccupations quotidiennes du plus grand nombre.

Car n’oublions pas que si le RN a gagné des voix, le principal « parti » sur notre circonscription, c’est l’abstention !

7 réponses à « DU « MIDI ROUGE » AU « MIDI BLEU MARINE » »

  1. Très bonne analyse, dommage qu’elle ne soit pas complète.
    Vous ne parlez pas de l’abandon des classes populaires par les partis politiques et syndicats.
    Il conviendrait de développer, cependant Je ne pense pas qu’il y ait de véritables prise de conscience. Vous ne faites qu’un constat de fait.

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    1. Merci pour votre commentaire.
      Je suis d’accord avec vous.
      Mon analyse n’avait pas la prétention d’être complète.
      C’est en effet un constat, un diagnostic.
      Il faut à présent construire une stratégie de reconquête en alliant les aspects locaux et nationaux.

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  2. Avatar de Jean Claude Moniez
    Jean Claude Moniez

    Je partage votre analyse qui pourrait d’ailleurs s’étendre à d’autres régions, comme le nord dont je suis originaire et qui connaît la même dérive, (exception faite de la viticulture bien sûr)

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  3. Pierre Polard filtre les avis qui lui tiennent tête et lui apportent contradiction, tout comme les bolcheviques de l’époque. On voit bien où cet islamo-bolchevique veut conduire la france: au vénézuela. Son collectivisme et notamment les médecins salariés qu’il appelle de ses voeux, ce concept a échoué partout et même les soviétiques de l’époque l’ont abandonné. Bref, il dit de la merde.

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    1. Je ne filtre pas les commentaires.
      Et encore moins ceux comme les vôtres qui font preuve d’une grande finesse d’analyse.

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      1. Je suis tout aussi légitime que vous pour donner mon avis, Mélenchon qui n’est plus rien politiquement ouvre bien sa gueule. Pourquoi pas moi?

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      2. Pourquoi vous ne feriez pas un blog ? Je serais ravi de commenter vos publications 🙂

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